CHAPITRE III

Les contours de la créature se précisaient.

Elle était apparue quelques secondes plus tôt à l’autre extrémité de la coursive. Rohel s’était engagé au hasard dans la bouche de l’hexace située à sa gauche, peut-être tout simplement parce que sa main gauche, plus lourde, l’avait spontanément entraîné dans cette direction.

Il avait marché à tâtons pendant un long moment. La pesanteur était progressivement redevenue normale. Des courants d’air froid avaient séché sa sueur et couvert de frissons son torse nu. Il avait entendu des bruits de pas devant lui. Les pas de quelqu’un de pesant, comme en témoignaient les longues et puissantes vibrations qui faisaient trembler le plancher. Sûrement pas un homme, car aucun être humain n’aurait pu survivre pendant deux millénaires dans les entrailles d’un vaisseau, probablement un automate ou un androïde, une quelconque créature de synthèse actionnée, comme le générateur de GAV, par le tableau holographique.

Rohel avait d’abord été tenté de faire demi-tour, mais s’était souvenu que sa volte-face dans la coursive précédente avait failli lui coûter la vie. Il avait donc surmonté sa peur et continué d’avancer.

Les coups sourds et réguliers ébranlaient le silence. Une luminosité diffuse auréolait la forme humanoïde qui occupait toute la largeur de la coursive et se rapprochait inexorablement de lui. Les entrailles de Rohel se nouèrent. Il ne disposait d’aucune arme, pas même d’un simple couteau. La taille et le poids de l’adversaire qui lui était proposé ne lui laissaient aucune chance de vaincre, et l’exiguïté de la coursive interdisait toute tentative de contournement.

Il s’immobilisa et observa la silhouette ourlée de lumière qui se mouvait à une trentaine de mètres de là. Ses certitudes s’effilochèrent comme des bancs de brume écharpés par le vent, et il douta tout à coup d’avoir affaire à un robot. D’où il se trouvait, il lui était impossible de déterminer s’il s’agissait d’un androïde ou d’un homme. Son crâne était glabre, lisse en tout cas, comme l’attestaient les flaques lumineuses et mouvantes qui se réfléchissaient sur le sommet de sa tête. Il était nu, ou bien vêtu d’une combinaison qui épousait étroitement les formes de son corps. Des éclats blancs, vaguement menaçants, brillaient à l’emplacement de ses yeux. Ses bras écartés, dans la position spécifique du lutteur, étaient aussi épais que des troncs d’arbre.

Bien qu’une intuition persistante lui soufflât de rester sur place et d’affronter son adversaire, Rohel se demanda encore une fois s’il n’avait pas opté pour la mauvaise coursive, s’il ne devait pas se replier avant qu’il fût trop tard. Il regretta de s’être séparé de sa deuxième botte. Il n’entendait pas de grésillement caractéristique, mais un autre bouclier magnétique, silencieux celui-là, s’était peut-être déclenché sur son passage, lui interdisant toute retraite. Comment savoir ? N’avait-il donc pas d’autre choix que de combattre, avec son corps d’enfant, la créature mystérieuse, inquiétante, qui lui barrait le passage ?

Il perçut un chuintement saccadé qui évoquait une respiration ample, sifflante. Il était bel et bien convié à défier un être vivant. La peur monta en lui comme une marée soudaine, paroxystique, des frissons glacés lui parcoururent le dos, un froid intense monta par la plante de ses pieds, se diffusa dans tout son corps et il croisa instinctivement les bras pour récupérer un peu de sa chaleur corporelle. Il lança un bref coup d’œil par-dessus son épaule. La coursive était plongée dans une obscurité fuligineuse. Il prêta de nouveau l’oreille, ne détecta aucune vibration, aucun grésillement.

Et si la voie était libre…

« Méfie-toi de tes propres jugements, enfant ! »

Il était là, le piège ! Les sept premiers fils de l’Arcanoa avaient joué sur l’effet de répétition, avaient conditionné ses réflexes. Se méfier de ses propres jugements, cela ne revenait-il pas à s’adapter à chaque situation, à réfléchir autrement, à modifier sans cesse son comportement ? Échaudé par sa première expérience dans la coursive à gravité croissante, Le Vioter se condamnait peut-être à une mort certaine en s’interdisant tout retour en arrière.

L’être se déplaçait sans se hâter, précédé de sa respiration sifflante. Il y avait quelque chose de mécanique, d’implacable, dans sa démarche. Était-il le descendant d’une race qui s’était perpétuée dans le ventre du vaisseau-mère, d’une huitième tribu cachée ? Durant quelques secondes, Rohel demeura écartelé entre son envie de prendre la fuite et l’inertie qui le figeait sur place.

Il tremblait de tous ses membres et claquait des dents. La température de la coursive avoisinait probablement le zéro.

Un détail attira son attention, quelque chose d’indéfinissable, d’imperceptible, mais qui créait une gêne au niveau de ses perceptions. Il affina son observation et se rendit compte qu’il y avait un décalage infime, de l’ordre du centième de seconde, entre le moment où le pied de l’homme se posait sur le plancher et la vibration qui en résultait. Ce manque subtil de synchronisme lui rappela le décalage entre l’image et le son de certaines émissions holographiques interplanétaires ou intervaisseaux.

« Méfie-toi de tes jugements, enfant. »

Rohel prit une longue inspiration et attendit que s’apaisent les battements accélérés de son cœur. Il savait maintenant qu’il ne devait à aucun prix battre en retraite, il lui fallait seulement dominer sa terreur, comme dans la coursive à gravité croissante, et pour cela descendre sa respiration dans le bas-ventre, contacter le point d’équilibre des énergies. Un exercice que lui avait souvent imposé Phao Tan-Tré, son instructeur d’Antiter, un homme d’une grande sagesse dont les préceptes étaient tirés de l’enseignement plurimillénaire du Taho-Téhé-Ki. Il ne maîtrisait pas encore toutes les réactions de son corps d’enfant, mais il exerçait sur lui une influence suffisante pour le contraindre à recouvrer son calme.

Il se rendit compte que la température continuait de baisser. Est-ce que cette diminution constante n’était pas programmée pour accentuer son sentiment de peur, pour le pousser à reculer et à se heurter au bouclier magnétique ? Il se raccrocha de toutes ses forces à l’idée qu’il avait opéré le bon choix.

De près, la créature était réellement monstrueuse, effrayante, et il dut en appeler à toute sa volonté pour ne pas prendre ses jambes à son cou. Elle ne se présentait pas de manière réaliste, logique, mais paraissait se déformer au gré des fluctuations subjectives de l’observateur, comme une créature issue de son subconscient.

Un leurre télépathique.

Une technologie ancestrale de manipulation psychique, que le princeps Helvir Le Chahouant avait interdite sur Antiter trois siècles universels plus tôt. Elle utilisait les ondes émises par le cerveau pour produire des anamorphoses à partir d’une image holographique de base. Rares étaient ceux qui ne prenaient pas la fuite devant les monstres engendrés par leur propre inconscient. La respiration saccadée qu’entendait Rohel n’était autre que la sienne, captée, déformée et amplifiée par un système de récepteurs-émetteurs dissimulé dans les cloisons. Quant aux bruits de pas, ils étaient vraisemblablement produits par un programme annexe de sonorisation vibratoire.

Comme dans la coursive précédente, la peur déserta définitivement Le Vioter, et son métabolisme se modifia instantanément. La créature perdit progressivement de son volume, jusqu’à devenir une minuscule silhouette d’une trentaine de centimètres de hauteur.

Le Vioter s’approcha de l’image holographique réduite et s’agenouilla pour mieux l’observer : à première vue, c’était un homme nu entièrement glabre, mais sa peau gris-bleu et son absence d’organes sexuels montraient qu’il s’agissait d’un androïde, un de ces robots à forme humaine que les Antiterriens avaient massivement utilisés une vingtaine de siècles plus tôt. Il se demanda où se trouvait le socle de projection, releva la tête, scruta les ténèbres, discerna un rayon grisâtre d’une trentaine de centimètres de diamètre qui provenait de l’autre extrémité de la coursive.

La température augmenta brutalement de plusieurs degrés, les contours de l’androïde s’estompèrent peu à peu, les émulsions lumineuses restèrent quelque temps en suspension avant de se rassembler et de former une tête aux traits grossiers, presque caricaturaux, encadrée d’une barbe épaisse et coiffée d’un bonnet conique à bord retourné.

Elle remua les lèvres et une voix bourrue résonna au-dessus de Rohel.

— Je suis Timyto Mattei. Si je t’apparais, enfant à la main d’homme, c’est que tu as vaincu l’illusion télépathique que nous avions dressée sur ton chemin. Si tu avais obéi à ta peur et fait demi-tour, tu ne serais plus actuellement qu’un petit tas de cendres balayées par les vents de l’oubli. Mais, si tu es bien celui qu’attendent mes descendants, tu savais déjà ce qu’était l’illusion télépathique, n’est-ce pas ? La prophétesse Athna prétend que tu viens d’un réseau-Temps situé tout près du pays au sept étoiles diurnes, que c’est la raison pour laquelle tu as conservé un esprit et une main d’homme dans un corps d’enfant. Est-ce ton cas ? Dans l’affirmative, tu ne devrais rencontrer aucune difficulté à franchir la prochaine coursive. Dans la négative, le vaisseau-mère ne fera preuve d’aucune clémence à ton égard. Au fait, que sont devenus mes descendants ? Ont-ils conservé l’apparence ingrate de leurs ancêtres gnomes ? Ont-ils évolué vers la beauté, vers l’harmonie ? Mais les apparences ont-elles de l’importance ? Ne sont-elles pas, comme les leurres télépathiques, des expressions de l’illusion ? Sais-tu contempler la beauté intérieure, enfant à l’esprit d’homme ? M’Mar Watar, mon frère à la peau noire, t’a raconté notre histoire, mais t’a-t-il dit comment les sept premiers fils de l’Arcanoa devinrent amis ? Nous étions d’abord huit officiers supérieurs de l’armée planétaire d’Antiter. Nous fûmes les seuls survivants de la bataille des Anneaux de Spahan. Reste-t-il quelque écho de l’horrible guerre qu’Antiter livra contre Etapsy-Tau, une planète du système de Tau Setti ? Reste-t-il quelque chose de la déroute de la grande armée d’Antiter ? Des actes barbares que nous fûmes amenés à commettre sur des femmes et des enfants ? De la disparition de millions d’hommes dans l’espace infini et froid ?

Comme tous ses complanétaires, Rohel avait entendu parler de l’interminable guerre interplanétaire qui avait opposé Etapsy-Tau à Antiter, une guerre dont les Antiterriens étaient finalement sortis victorieux après une série de défaites cinglantes, mais il n’en connaissait pas les détails, car les historiens évitaient de s’attarder sur cette période peu glorieuse de l’histoire du peuple de la Genèse. Le fait d’entendre la voix de l’un des participants à ce conflit d’un autre âge, même si c’était par l’intermédiaire d’un système holographique, éveillait un sentiment étrange, entre vertige et malaise, entre fascination et aversion.

— À la suite d’une gigantesque explosion lumineuse, nous fûmes éjectés dans l’espace et, bien que venant de vaisseaux différents, nous nous réfugiâmes tous les huit dans la même dérivelle de survie. Le hasard ? Y a-t-il un hasard ? Les valides soignèrent les blessés. Nous dérivâmes pendant plus de trois années universelles. Il y eut des disputes entre nous et nous en vînmes parfois aux mains, mais nous apprîmes à nous connaître. Lorsqu’à la fin de la guerre un vaisseau marchand nous recueillit et nous ramena sur Antiter, nous décidâmes de ne jamais nous perdre de vue. Une belle histoire, n’est-ce pas ? Une histoire, en tout cas, dont nous n’avons retenu que la beauté. L’amour est le plus puissant des moteurs, et le manque d’amour la cause majeure des désespoirs humains. Même si tu le sais déjà, ne l’oublie jamais.

Le Vioter ne comprenait pas pourquoi ses interlocuteurs de lumière parlaient de huit officiers et de sept fils de l’Arcanoa. L’un d’eux était-il mort pendant le voyage ? La tête holographique esquissa une grimace – un sourire ? – avant de se dissoudre dans les ténèbres profondes qui retombèrent sur la coursive.

*

Le Vioter déboucha sur une hexace baignée de lumière. Quatre des cinq entrées des coursives avaient été condamnées, comme si les concepteurs du labyrinthe avaient voulu faciliter son choix, lui éviter de perdre du temps.

Au milieu de la place hexagonale, une arme reposait sur le plancher lisse et brillant. Un fusil à propagation lumineuse, l’un de ces modèles antiques que Rohel avait aperçus dans le musée des guerres de Néopolis, la capitale d’Antiter. Dans quel but avait-il été posé là ? Avait-il un rapport avec les paroles de Timyto Mattei ? Quel genre d’adversaire allait-on lui opposer ?

La présence de ce fusil démontrait en tout cas qu’avant Le Vioter aucun candidat à l’investiture messianique n’était arrivé jusque-là. À moins qu’un robot distributeur ne fût chargé de remplacer l’arme après que quelqu’un l’eut ramassée, une hypothèse à laquelle Rohel ne croyait pas, d’une part parce qu’un robot, qu’il fût monté sur des roulettes ou sur des jambes articulées, aurait abandonné des traces de son passage sur le plancher lisse, et d’autre part parce que les couleurs passées, ternes, de l’arme indiquaient qu’elle gisait là depuis un bon moment. Selon toute probabilité, cela faisait plus de vingt siècles qu’elle attendait d’être tirée de son sommeil par son prince charmant.

Rohel ramassa le fusil et en vérifia le mécanisme. La jauge de charge énergétique et les témoins lumineux indiquaient qu’il restait opérationnel en dépit de son ancienneté. Il débloqua le cran de sûreté, cala la crosse contre son épaule, posa l’index sur la détente et s’aventura prudemment dans la seule coursive ouverte, éclairée par des rampes lumineuses serties dans le plafond métallique.

Le passage s’élargissait et s’incurvait au fur et à mesure qu’il s’avançait. Il fut bientôt obligé de marcher en travers pour ne pas être emporté par la déclivité de plus en plus prononcée du plancher. Les muscles de ses bras se crispaient à force de maintenir le fusil braqué à hauteur de son épaule. Un silence oppressant, lourd de menaces, régnait sur le vaisseau-mère. Bien que la température fût encore relativement fraîche, il transpirait d’abondance.

Au sortir d’une ample courbe, il aperçut une forme imprécise dans le lointain, une forme sombre, tourmentée, qui lui barrait le passage. Il s’en approcha avec prudence, s’efforçant de faire le moins de bruit possible. Il distingua peu à peu quatre paires de pattes, une tête triangulaire, des yeux globuleux d’un brun-rouge terne, une carapace noire et bosselée. Son index se crispa sur la détente du fusil à propagation lumineuse. L’animal, pour l’instant immobile, éveillait des souvenirs imprécis dans l’inconscient de Rohel, quelque chose de vaguement familier qui avait un rapport avec sa tendre enfance. Il se demanda s’il n’avait pas affaire à un deuxième leurre télépathique, mais, presque simultanément, il se dit que les fils de l’Arcanoa n’auraient pas laissé une arme à sa disposition pour combattre une illusion. Bien que d’une immobilité trompeuse, cet adversaire-là était bien réel.

Un voile se déchira dans l’esprit de Rohel : il s’agissait d’une aranéelle, d’un arachnide géant de l’espace, et, contrairement aux autres êtres vivants, elle avait fort bien pu vivre sans nourriture, sans eau et pratiquement sans oxygène pendant des siècles à l’intérieur de ce vaisseau. Ces monstres légendaires élisaient généralement domicile sur les ceintures d’astéroïdes, sur les météorites ou sur les planètes aux températures très élevées. L’espèce était encore mal connue, mais on en avait recensé des spécimens qui avaient vécu plus de quarante siècles sans avaler une seule goutte d’eau ni la moindre nourriture.

Une source de terreur et de haine jaillit de l’inconscient de Rohel. Les aranéelles avaient de tous temps été les compagnons de cauchemar favoris des petits Antiterriens, d’horribles créatures que les parents invoquaient dès qu’ils ne parvenaient plus à se faire obéir de leurs enfants, et dame Almia, la mère de Rohel, n’avait pas dérogé à la règle.

Les aranéelles étaient accusées de tous les maux, d’ouvrir les sarcophages de survie des naufragés de l’espace, de s’introduire dans les tuyères des vaisseaux, de dévorer dans leur sommeil les passagers et les membres des équipages, de se multiplier sur les planètes nouvellement colonisées et de décimer les troupeaux. Surnommées les veuves célestes ou les faiseuses d’âme, elles avaient en outre la réputation de porter malheur : les nombreuses expéditions que les zoologues avaient organisées pour étudier le comportement de ces étranges arthropodes avaient toutes connu des sorts tragiques.

Elle ne possédait pas de mandibules comme toutes ses congénères, mais Le Vioter discernait la fente dentelée de sa large bouche derrière le rideau ajouré de ses premières pattes repliées. Parvenu à dix pas de l’arachnide spatial, il s’arrêta, maîtrisa son tremblement nerveux et leva le canon de son arme. Elle semblait inerte, morte, mais elle pouvait à tout moment lancer une attaque foudroyante. Ses quatre pattes latérales, d’une longueur avoisinant les six mètres, étaient pourvues en leur extrémité d’un dard rétractile et empoisonné. Les bords rebondis de son abdomen chitineux s’écrasaient sur le plancher et sur les cloisons de la coursive.

Elle éveillait en Rohel une profonde répulsion doublée d’une incontrôlable rage de meurtre. Il visa longuement ses yeux brun-rouge, les seuls défauts de sa cuirasse. Les propagations lumineuses étaient capables de perforer le fuselage d’un vaisseau, mais pas son épaisse carapace.

Elle ne bougeait toujours pas, comme si elle attendait le coup de grâce.

Une épreuve facile. Une simple formalité.

Trop facile. Il eut la brusque et désagréable impression d’être un exécuteur des hautes œuvres. De lourdes paupières noires se refermèrent sur les yeux de l’aranéelle.

La voix de Timyto Mattei résonna de nouveau à l’intérieur de son crâne.

« Les apparences ont-elles de l’importance ? Sais-tu contempler la beauté intérieure, enfant ? Le manque d’amour est la cause majeure des désespoirs humains… »

Il se souvint tout à coup de l’histoire que lui avait racontée un vieil Antiterrien du nom de Myoto Mushi, un résident du quartier oriental de Néopolis.

« Hara Tayato vivait dans un petit village des montagnes Tazal. Il était tellement laid qu’il avait toutes les apparences d’un monstre des légendes zann. Il ne pouvait pas sortir dans la rue sans que les enfants lui jettent des pierres, que les hommes se moquent de lui et que les femmes le fuient comme un pestiféré. Cependant, il advint qu’une jeune fille pauvre du nom de Sokyo eut de la compassion pour Hara Tayato. Elle vint frapper à la porte de sa maison et lui offrit l’une des pommes qu’elle avait ramassées quelques heures plus tôt pour les vendre au marché. Hara Tayato mangea la pomme et invita Sokyo à entrer dans sa maison. Malgré les bruits horribles qui circulaient sur le compte de cet homme, elle accepta l’invitation et elle en fut récompensée : Hara Tayato se transforma en un très beau jeune homme. C’était un dieu qui s’était glissé parmi les humains pour éprouver leur bonté. Il offrit son amour à Sokyo et l’emmena dans le pays où règne la félicité éternelle. »

L’aranéelle était, comme Hara Tayato, victime de sa monstrueuse apparence. Il allait la tuer simplement parce qu’elle l’emplissait de dégoût, parce qu’elle était un miroir dans lequel il refusait de se contempler. De légères ondulations la parcouraient à présent, des frémissements qui annonçaient l’imminence d’une attaque. Elle avait pris le temps d’observer cet enfant à la main d’homme, le premier être vivant qu’elle rencontrait depuis plus de deux mille ans. L’index de Rohel commença à enfoncer la détente du fusil.

Une voix affolée lui soufflait de tirer sans attendre, mais une intuition l’en dissuadait, lui affirmait que les sept premiers fils de l’Arcanoa avaient orchestré toute cette mise en scène pour le pousser à commettre ce geste. Ils avaient puisé dans son inconscient pour exhumer ses terreurs profondes, ils avaient joué avec perversité de ses souvenirs d’enfant. Là se trouvait probablement le rapport avec le réseau-Temps qu’avait brièvement évoqué Timyto Mattei.

Les extrémités griffues des interminables pattes de l’aranéelle exécutaient maintenant un ballet lancinant, hypnotique, à quelques centimètres du canon du fusil. Rohel distinguait nettement les aiguillons recourbés, empoisonnés, semblables au dard des Reskwins, la race mutante créée par les biologistes de l’Église du Chêne Vénérable. Ses muscles se contractaient avec une telle violence qu’il commençait à souffrir de crampes, la crosse métallique du fusil lui meurtrissait l’épaule, l’index de sa main droite se tétanisait sur la détente.

Les paupières de l’arachnide s’ouvrirent de nouveau sur des yeux brun-rouge dont l’éclat flamboyant parut vaguement menaçant à Rohel.

Il fallait en finir. Franchir cette coursive. Sortir de ce labyrinthe.

Tuer l’aranéelle.

Il raffermit sa décision, mais son index refusa de presser la détente. Dans quel but les sept fils de l’Arcanoa lui avaient-ils glissé cette arme dans les mains ?

« Si tu viens du réseau-Temps, avait dit Timyto Mattei, tu ne devrais rencontrer aucune difficulté à franchir cette coursive. »

Les premiers fils de l’Arcanoa estimaient sans doute qu’un séjour dans le réseau-Temps lui avait permis de vaincre ses terreurs d’enfant.

« La beauté est intérieure. »

Rohel reposa le fusil sur le plancher, la gueule du canon tournée vers la coursive, puis écarta les bras et s’avança vers l’aranéelle. Il eut l’impression de se jeter dans un océan de frayeur. Avec l’énergie du désespoir, il refoula sa tentation de rebrousser chemin, de ramasser l’arme, et continua d’avancer vers le grand corps noir.

Il percevait les sifflements produits par les mouvements incessants des huit pattes de l’aranéelle, les crissements des dards sur les cloisons. Il vit s’entrouvrir les mâchoires aussi aiguisées que des lames. Il se raccrocha à l’idée que nul n’avait prouvé la férocité des arachnides géants de l’espace, qu’ils avaient seulement prêté le flanc à tous les fantasmes, à toutes les phobies, à toutes les transes, qu’ils avaient cristallisé toutes les peurs.

Il ne parvenait pas à détacher son regard des yeux brun-rouge et globuleux. Sa terreur se doublait à présent d’une certaine attirance, d’une certaine compassion pour le monstre prisonnier de la coursive depuis plus de vingt siècles.

Il s’immobilisa à moins d’un mètre de la tête ovoïde et bosselée.

Il lui suffisait de tendre le bras pour la toucher. Les pattes continuaient de danser et de siffler tout autour de lui. Posée sur son abdomen, l’aranéelle mesurait plus de dix mètres de la tête à la queue. Les lumières des plafonniers se réfléchissaient sur sa carapace noire et luisante. D’elle émanait une doucereuse odeur de chitine, identique à l’odeur des nids d’insectes d’Antiter et des autres planètes.

Ses mâchoires claquèrent à quelques centimètres de la main de Rohel qui demeura indécis, partagé entre son désir d’établir un contact physique avec elle et son envie de sortir au plus vite du ventre du vaisseau-mère.

Elle n’avait toujours pas frappé, comme si elle guettait la réaction de l’être humain qui lui rendait visite. De près ses yeux étaient d’énormes globes rouges, des étoiles pourpres et chargées d’énergie qui étincelaient dans un ciel d’encre.

Rohel leva sa main gauche, sa main d’homme, et l’aranéelle baissa instantanément la tête, comme pour l’inviter à lui caresser le sommet du crâne. Lorsque sa paume et la pulpe de ses doigts effleurèrent la surface froide, dure et arrondie, il eut d’abord un geste de recul, un geste de dégoût, et sa peau se couvrit de frissons. Puis il se dépouilla de ses derniers lambeaux de peur et posa résolument la main sur la tête de l’arachnide dont les pattes cessèrent aussitôt de remuer.

Un flot d’images et de sensations le submergea. Il ressentit d’abord un calme indescriptible, semblable au silence insondable de l’espace, puis il perçut les mouvements d’une lutte confuse contre une autre masse noire, des éclats fulgurants de douleur et de plaisir, une alternance de chaud et de froid, une désagréable impression d’enfermement, un sentiment de tristesse infinie. Un bref aperçu de l’existence de l’arachnide de l’espace. Les sept premiers fils de l’Arcanoa l’avaient probablement capturé au cours de leur voyage et l’avaient emprisonné dans les coursives condamnées du vaisseau-mère.

La douleur et la fatigue de Rohel s’estompèrent subitement, comme absorbées par l’aranéelle. Il ne sentait plus les habituels élancements de sa main gauche ni la lassitude consécutive à sa longue errance dans le désert d’herbe. Une vigueur nouvelle imprégnait chacun de ses muscles, chacune de ses cellules.

Elle restait immobile, la tête penchée. Rohel comprit que l’échange s’effectuait dans les deux sens, qu’elle éprouvait le même bien-être que lui, qu’elle puisait en lui les éléments dont elle avait besoin pour rompre une solitude de plus de deux mille ans. Il ne sut pas combien de temps dura cette étrange étreinte mais, lorsqu’une voix intérieure le tira de son ravissement et lui suggéra de poursuivre sa route, il se rendit compte qu’il était complètement régénéré, que son esprit avait recouvré une clarté, une acuité exceptionnelles.

L’aranéelle se tassa sur le plancher, se fit aussi petite que possible, comme si elle avait deviné sa décision et cherchait à lui faciliter le passage.

Alors, se servant de sa tête comme de la première marche d’un escalier, il grimpa sur la carapace, dont la dureté meurtrit ses pieds nus, franchit sans se hâter les quelques mètres qui le séparaient de la queue du grand arachnide et sauta sur le plancher. Il s’enfonça sans se retourner dans la coursive inondée de lumière, mais il se promit que, s’il sortait vivant de ce labyrinthe, il libérerait la captive de son étroite prison de métal et lui permettrait de regagner l’espace infini, là où elle pourrait enfin déployer son âme et ses pattes immenses.

La coursive donnait sur une hexace une vingtaine de mètres plus loin. Un cône de projection se dressait au milieu de la place hexagonale, plus large et plus haut que les précédents. Deux têtes holographiques apparurent à l’intérieur des fragiles parois bleutées. L’une était brune, auréolée de cheveux noirs et ondulés – Rohel identifia sans peine le premier fils d’El Sur –, l’autre était plate, encadrée d’une chevelure lisse. Il n’avait pas besoin de se pencher ou de se mettre à quatre pattes pour les regarder, elles flottaient pratiquement au niveau de ses yeux.

Une voix sèche, émanant de la tête brune comme l’indiquaient les mouvements de ses lèvres, surgit d’un haut-parleur.

— Je suis El Sur Abn Arb. Si nous t’apparaissons, enfant, c’est que tu as passé sans encombre l’obstacle de l’aranéelle, que tu as trouvé en toi les ressources de l’épargner. Sache donc que nous avions placé des microcharges derrière ses globes oculaires et que, si tu avais tiré, tu aurais déclenché une explosion. Elle n’aurait pas détruit le vaisseau-mère, ni même les coursives environnantes, car s’agissant d’une exemple – explosion-implosion –, elle t’aurait happé à l’intérieur d’un tourbillon qui se serait refermé sur lui-même et t’aurait éparpillé dans le néant. La seule manière de passer l’obstacle, c’était de surmonter la terreur irrationnelle que provoquent les arachnides de l’espace. Un messie, un guide, n’est ni la proie des préjugés ni le prisonnier des apparences. Tant son cœur est grand que chacun trouve une place pour s’y loger.

— Cette aranéelle a une histoire, intervint la seconde tête. Je suis Vichkanda, le premier fils de Machidri. Lorsque nous la recueillîmes sur un astéroïde, plusieurs d’entre nous étaient frappés de cette maladie que l’on nomme la pneumose. Une infection provoquée par un virus de l’espace et contre laquelle les médecins de bord étaient impuissants. La contagion se répandait et, au train où allaient les choses, l’ensemble des passagers et des membres de l’équipage risquaient d’être contaminés. Lorsque nous découvrîmes l’aranéelle dans le sas intermédiaire, nous fûmes tellement effrayés que nous voulûmes immédiatement la tuer. Mais un enfant malade, le fils de notre frère Trull Jerkill, échappa des bras de son père et courut vers elle avec une telle soudaineté que nous n’eûmes pas le temps d’intervenir. Nous baissâmes nos armes de peur de le blesser. Non seulement l’aranéelle ne se jeta pas sur lui pour le dévorer, mais, après que l’enfant l’eut touchée pendant quelques instants, elle le laissa repartir et nous nous rendîmes compte qu’il n’avait plus de fièvre, que sa respiration avait cessé d’être sifflante. Elle l’avait guéri, elle qui hantait nos inconscients comme un monstre sanguinaire.

— Nous installâmes l’aranéelle dans une soute et nous invitâmes tous ceux des nôtres qui souffraient de la pneumose à entrer en contact avec elle, ajouta El Sur Abn Arb. Certains acceptèrent et furent guéris, d’autres refusèrent, incapables de surmonter leur aversion, et moururent dans d’atroces souffrances. Cependant, sa présence dans le vaisseau-mère permit d’éteindre le foyer d’infection et nous pûmes poursuivre notre voyage. Elle fut par la suite accusée de tous les malheurs, petits ou grands, qui s’abattirent sur l’Arcanoa et nous dûmes la cacher pour la soustraire à l’injuste vindicte de nos frères.

— Ainsi sont les êtres humains, enfant à la main d’homme : ingrats et irrespectueux, intervint Vichkanda Machidri. Mais tu le sais déjà, car selon la prophétesse Athna tu sais davantage de choses que nous. Il te reste un dernier obstacle, une ultime épreuve. Si tu es celui qu’attendent nos descendants, tu as en toi les moyens de la franchir.

— Il faut savoir parfois détruire pour mieux reconstruire, précisa El Sur Abn Arb.

— La mort fait partie de la vie.

— Et le sacrifice de la rédemption.

Les deux têtes adressèrent un sourire chaleureux à Rohel avant de s’estomper. Puis le cône de projection s’effaça, les plafonniers s’éteignirent et des grincements sinistres s’élevèrent tout autour de lui.

Cycle de Lucifal
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